Je sais qu’un jour, toi aussi, tu partiras. Comme les autres, beaucoup d’autres. Trop d’Autres. De ces autres que tu as si bien connus, mais qui ne te connaissent pas. Qui ne te connaissent plus. Et c’est bien mieux ainsi, crois-moi : ils n’ont que trop souffert.
Je sais qu’un jour, tu partiras. Ce n’est qu’une question de temps. Certainement pas d’envie : même si elle ne te vient pas, nous saurons l’avoir pour toi ; l’avons déjà pour toi. Pas sûr que tu aies à souffrir autant que tous ces Autres qui ne sont plus là pour te dire ce qu’il te faudra traverser, mais ça n’a pas d’importance : le décompte a commencé, et le diagnostic des chercheurs que tu n’as pas consultés est sans nuance : il te faudra partir. Il t’en reste moins à connaître que tout ce que tu as déjà pu savoir, apprendre, vivre. Vivre… Vivre ! Vivre, comme tous ces Autres qui ne pourront plus jamais goûter au précieux de ce mot, si anodin quand on n’en mesure pas le prix à l’aune de l’Essentiel. Tu sauras le mesurer, je n’en doute pas. Non, je ne doute pas de ta force, de ton envie de rester là, de te battre plus que tout au monde. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que l’envie de partir l’emporte sur le besoin de rester. Nécessité fera, plus que jamais, loi parmi les vivants. Ceux qui restent ; ceux qu’il reste encore pour témoigner que tôt ou tard, il te faudra partir. Et, tout digne que tu puisses te montrer, tu n’es pas dupe : tu sais pertinemment que tu es plus proche du tôt que du tard.
Je sais, oui je sais, et sans doute bien mieux que toi, qu’il te faudra partir comme tu es venu, partir pour ne jamais plus avoir à revenir, ne surtout pas revenir. Tu ne souffriras pas, promis, les docteurs l’ont assuré : une agonie sans douleur, un départ express, un aller sans retour. Pas de rémission, et c’est très bien comme ça, car si tu devais ressusciter, on s’arrangerait pour que tu repartes, définitivement cette fois. Je sais qu’un jour, tu partiras, parce qu’on te fera partir, et pour cela on aura payé le prix fort, payé cher, payé comptant : ces autres, tous ces Autres, tellement d’Autres dont tu as pris la vie comme on prend un bain de soleil sans rendre une ombre en retour. Juste retour des choses. Mais dieu que cela aura eu un coût : ces Autres. Toutes ces vies que tu as volées, personne ne te dira jamais merci. Simplement ceci : VA TE FAIRE FOUTRE. Adieu, Monsieur le Crabe.
Le révérend 03/08/2012 12:44
¤Fil@ment¤ 05/08/2012 21:20