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•••   É𝐜𝐨𝐭 𝐝𝐮 𝐒𝐢𝐥𝐞𝐧𝐜𝐞   °°°

••• É𝐜𝐨𝐭 𝐝𝐮 𝐒𝐢𝐥𝐞𝐧𝐜𝐞 °°°

Dernier Vertige avant l'Oubli.


L'Inconnue Populaire.

Publié par ¤Fil@ment¤ sur 1 Juillet 2009, 20:25pm

Catégories : #Whoever I am not


          Mais y a-t-il une mort après la vie ?
          J'avais quinze ou seize ans, et une voie toute tracée. Le monde était aussi petit que j'étais grand : il y avait tellement de choses à découvrir que je me sentais l'âme sans frontières d'un explorateur immortel. Il me semblait que rien n'aurait pu me résister, du moins n'avais-je pas encore réellement conscience du danger potentiel qui accompagne chaque pas que l'on pose sur le chemin d'une existence. J'étais là et je vivais. J'avançais, simplement. Je n'attendais personne, car j'espérais le monde. J'aspirais au monde. J'espérais tout le monde. Et je rêvais; depuis toujours j'ai rêvé. Alors il était plus que temps de donner corps à ces voeux les plus élémentaires, les plus cruciaux qui soient, et peut-être même les plus insignifiants, pour ne rien louper et n'avoir rien à regretter. Je m'imaginais pouvoir tout embrasser, tout expérimenter, tout connaître avec la plus sage des naïvetés inhérentes à mon âge d'alors ainsi qu'à ma nature idoine : puisque je voulais tout voir, tout savoir du moindre rien qui traînait (du dieu le plus improbable à la fleur la plus tangible), il me suffisait d'ouvrir les yeux. De regarder, d'écouter, de toucher, de demander, d'apprendre. Oui, il suffisait de... Ce qu'on est jeune quand on est idiot. Ou plutôt, ce con n'est idiot que quand on naît jeune. Car je savais déjà fort bien que mille vies ne suffiraient pas pour tout assimiler, pourtant je n'aurais rien voulu manquer du spectacle qui s'offrait à moi en chaque endroit de l'univers, à chaque seconde, à chaque souffle de mon coeur qui était alors si chaud, si pur, si avide de ne jamais cesser de (se) battre. De ne jamais savoir qu'un jour il faudra le rendre. En même temps que l'âme.
Je ne connaissais pas la mort, du moins pas en face. Je l'avais croisée "comme tout le monde", bien entendu, cette inconnue qui vous semble si proche lorsque vous entendez son nom presque quotidiennement, qui dans les journaux, qui dans l'absence sans retour d'un grand-père, qui dans un hôpital, une rue, un lieu, une époque... Mais jamais elle ne se présente à vous véritablement, et, lorsqu'elle daigne le faire, vous savez que vous n'aurez pas l'occasion de faire réellement sa "connaissance", puisqu'elle ne vient pas vous voir pour ce genre d'amabilités.

(...)

          J'ignore comment m'est venue l'idée de ne pas mourir, de ne pas affronter le regard de cette inconnue-là. J'ignore même comment elle s'est arrangée pour ne pas avoir croisé, toutes ces années, ma route, qui a cessé depuis bien longtemps d'être "toute tracée". Trop bien tracée sans doute. Et sûrement qu'aujourd'hui je paie le prix de n'avoir pas su, à temps, m'en égarer, m'en dévier, m'en foutre. Le monde était au-dehors, et je n'ai regardé qu'au-dedans. Pour échapper à l'emprise du silence qui commençait tout juste à faire son nid, je crus d'emblée qu'un silence plus fort le pousserait hors des frontières de cet être qui était encore moi. Erreur, fatale erreur. Létale horreur. Aujourd'hui que je me sens près de franchir la ligne d'arrivée, j'aimerais ne jamais avoir quitté la ligne de départ. Car bien des années ensuite, avec le recul qui par définition ne saurait venir qu'après, j'ai compris à quel point j'avais pu me tromper. Me berner. Me leurrer. Et je sus que je n'avais jamais échappé à l'inconnue-dont-chacun-sait-pourtant-le-nom : j'étais son prisonnier depuis tant d'années, un jouet dont elle usait avec patience et machiavélisme, un sadisme dont seule une nature morte peut se montrer capable, digne, et même fière, tant je sens peser sur mon corps délabré le triomphe de son regard hautain. Un regard qui ne connaît aucune autre empathie que la satisfaction du (sentiment de) devoir accompli.
A accomplir encore.
Et je lui ai dit plus d'une fois que nous avions assez fait connaissance; qu'il serait temps d'envisager une autre forme de relation : un divorce à l'amiable par consentement mutuel aurait ma nette préférence, avec séparation de corps et de biens, et même corps et âme. Je ne veux rien emporter, juste qu'elle me laisse enfin seul pour de bon, un repos dernier en lieu et place de toutes ces phases de répit épisodiques qu'elle distillait tout au long de notre union contre nature. Cette union qu'elle m'a imposé dès le départ, et que j'ai acceptée, tacitement, par mon silence initial.
A dire vrai je voudrais qu'elle meure, mais, même si elle ne dit pas son nom, cette inconnue n'en démord jamais et n'en meurt d'autant. Elle ne peut pas mourir, et surtout pas de faim : elle ne peut se nourrir que de celle de ses compagnons, qu'elle choisit au seul gré du hasard programmé. J'ai beau vouloir la laisser sur le carreau, c'est toujours elle qui me maintient... en vie. Elle mord dans ma vie, elle me meurt à petits feux. Qui s'en souviendra ?
 

          Il y a bien une mort après la vie. J'en suis la preuve "vivante". Et un jour, je la tuerai de mes propres mains sales. Pour pouvoir vivre enfin. Vivre et être immortel, éternel comme cet enfant qui rêvait d'explorer le monde des vivants, à quinze ans, et de n'en faire jamais le tour que dans sa tête.
La vie m'a tué, et la mort ne m'a toujours pas dit son dernier mot. Pas plus que son nom. Mais pour moi elle n'est plus une inconnue, je sais qui elle est, où elle demeure et où sera la mienne, qui ne sera pas la dernière : je la tuerai de m'avoir empêché de mourir comme tout le monde. Ce sera sa dernière demeure, et ma dernière volonté. Puis, à nouveau j'aurai quinze ans, et je renaîtrai. Dussé-je en mourir.

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